Courouce3_Géraldine Fur © Géraldine Fur

Où sont les femmes ? (2/7)

Cavalières, cheffes de piste, vétérinaires, grooms, directrices sportives et organisatrices d’événements 5*, éleveuses, maréchales-ferrantes, speakerines de concours… La liste est longue. La gent féminine embrasse une part de plus en plus importante dans la filière équine. Et que dire des femmes de cavaliers internationaux qui vouent souvent leur vie à la carrière de leur mari, ou de ces mères qui vibrent à chaque départ en piste de leur progéniture ? Pour rendre hommage à toutes ces femmes, et tenter de répondre aux questions sous-jacentes de leur place dans l’industrie équestre et aux nombreux paradoxes qui s’y dessinent, une série spéciale leur est dédiée dans les sept newsletters du CHI de Genève qui rythment votre année 2023. Pour ce deuxième numéro, portrait d’une vétérinaire au CV qui en ferait pâlir plus d’un.

Pour relire le premier numéro de notre série, c'est par ici !

Professeure Anne Couroucé : vétérinaire, femme, mère et plus encore

Pour le deuxième volet de sa série dédiée aux femmes, la Newsletter du CHI de Genève vous présente une vétérinaire aux multiples casquettes. Avec un CV impressionnant, la Professeure Anne Couroucé n’a jamais voulu faire de choix entre vie professionnelle et vie privée. Sur le terrain comme en famille, elle assume pleinement et avec brio ses différents rôles. Portrait d’une pionnière dans un domaine d’expertise autrefois détenu par les hommes.

Les chiffres sont éloquents. En 2022, la Société des vétérinaires suisses (SVS) recensait 2’767 membres actifs, dont 67% de femmes. Une répartition des sexes révélant une majorité féminine chez les moins de 50 ans, une quasi-égalité pour les 50-64 ans et une très large majorité d’hommes pour les plus de 65 ans. En moyenne, ces dernières années, les parts des diplômées en Suisse se situaient entre 85% et 90%. De fait, en quelques générations, les femmes sont devenues largement majoritaires dans les études vétérinaires.

La Professeure Anne Couroucé fait le même constat en France, où 80% des apprentis en spécialisation équine sont des femmes. Membre du conseil scientifique de l’Association des vétérinaires équins français (AVEF), membre de l’Académie vétérinaire, présidente du conseil scientifique et technique du Réseau d’épidémiosurveillance en pathologie équine (RESPE), FEI Permitted Treating Veterinarian, vétérinaire coordinatrice des Jeux équestres mondiaux de Caen en 2014, présidente de la commission fédérale vétérinaire de la Fédération française d’équitation depuis août 2021 et membre de la commission vétérinaire de la Fédération équestre internationale (FEI) depuis novembre 2021 (ndlr. reprenons notre souffle…), entre autres, la Professeure Anne Couroucé est l’une des premières à s’être imposée sur un terrain jusqu’alors très masculin : « J’ai terminé mes études vétérinaires à Nantes, en 1992, puis j’ai travaillé pendant une dizaine d’années dans des écuries de trotteurs en Mayenne. Je pense que c’était la première fois que des entraîneurs voyaient une femme vétérinaire ! Pour autant, ils m’ont rapidement fait confiance compte tenu de ce que je pouvais leur apporter. »

Courouce2_Poppy McGeown © Poppy McGeown

À l’époque, les réticences proviennent davantage de ses confrères, déjà installés dans la région, appréciant peu qu’une jeune femme y pose ses bagages. « Quand je suis arrivée, je n’étais pas encore praticienne, mais je menais des recherches dans les écuries de trotteurs. Un important cabinet vétérinaire du coin a même déposé une plainte contre moi pour exercice illégal de la médecine vétérinaire ! Cela a été une vraie douche froide. Je pensais que le milieu vétérinaire était un microcosme chaleureux où tout le monde collaborait, je suis donc tombée de haut. Heureusement, les entraîneurs m’ont soutenue… »

Du terrain…

C’est en 1993 que la jeune doctorante, qui vient de valider sa thèse, commence l’évaluation des chevaux sur le terrain. En tant que praticienne, Anne Couroucé est alors rapidement reconnue pour son savoir-faire en médecine sportive, spécialisation de la médecine vétérinaire équine. Aujourd’hui, elle reste persuadée que si hommes et femmes sont de compétence égale en termes de diagnostics et de résultats, leurs approches diffèrent néanmoins parfois face à l’animal : « C’est clair que nous n’avons pas une approche frontale à moins de mesurer 1,95m et d’être bien charpentées… Sans doute sommes-nous émotionnellement plus impliquées par l’animal. Il suffit de voir le nombre de petites filles qui passent des heures à panser leurs poneys dans les centres équestres. Je pense en tout cas que nous apportons davantage de douceur. De plus, nous n’avons pas forcément la même manière d’aborder les choses humainement, vis-à-vis notamment des cavaliers, propriétaires et entraîneurs. »

… aux instances…

Après neuf années passées en Mayenne, Anne Couroucé accepte alors un poste d’enseignante chercheuse clinicienne à l’École vétérinaire de Nantes en 2001 où elle développe la médecine interne équine. Elle devient Diplomate du Collège Européen de Médecine Interne Equine (ECEIM) en 2004 et donc spécialiste reconnue en médecine interne équine. Dès lors, elle multiplie les activités entre recherche, enseignement et consultations. Curieuse et aimant les challenges, elle commence également à accepter des postes dans diverses instances, assurant ainsi un lien entre terrain et bureaux. Là encore, elle est parmi les premières à s’imposer à des postes à responsabilité, jusque-là souvent détenus par des hommes, ouvrant la voie à un début de parité. « Aujourd’hui, les femmes ont bien pris leur place dans les instances fédérales. À la FEI, nous avons ainsi une commission comptant quatre femmes pour quatre hommes. En arrivant à la fédération internationale il y a dix ans, il n’y avait alors que des hommes. Les choses ont aussi évolué à ce niveau-là. Seuls les postes de présidents semblent encore majoritairement masculins. Quoi que… la FEI a déjà eu des présidentes », analyse-t-elle, avant d’ajouter : « Même la World Equine Veterinary Association a déjà eu une femme présidente de nationalité australienne en 2003, Kate Savage, et une autre femme, la Chilienne Maria Paz, prendra le relais de l’actuel président, Éric Richard. »

Courouce1_Cisco © Cisco

… sans oublier la famille

Passant allègrement des écuries aux salles de consultation, de cours, de conférence ou de conseils d’administration, troquant bottes, jeans et blouse pour des talons hauts, la Professeure n’a pour autant pas mis sa vie personnelle entre parenthèses, ajoutant, de fait, une autre corde à son arc ! Désireuse de fonder une famille, Anne Couroucé a même réussi le pari d’élever trois enfants tout en menant de front son métier et ses obligations institutionnelles. Si elle n'a, elle-même, jamais compté ses heures, la praticienne reste persuadée que, dorénavant, ses consœurs ont insufflé une nouvelle manière d’appréhender le temps de travail. « Comme les femmes voulaient travailler mais aussi s’occuper de leur famille, elles ont dû trouver des solutions, et tout cela bénéficie aujourd’hui aux jeunes diplômées qui arrivent sur le marché du travail. La nouvelle génération aura une façon de s’organiser totalement différente. Quand j’ai commencé, nous travaillions 7/7 et 24/24, mais il est vrai que nous devions alors davantage faire nos preuves. Désormais, les nouvelles praticiennes assument leur choix et avertissent dès le départ leurs clients qu’elles ne seront pas disponibles 100% de leur temps, et je pense que cela se prolongera avec la jeune génération, hommes et femmes confondus », conclut la praticienne.

Si elle peut déjà être fière de ce parcours exemplaire, la jeune quinquagénaire ne compte pas en rester là. En tant qu’enseignante, elle désire plus que tout former ses étudiants autour du bien-être animal afin de développer à l’avenir une médecine vétérinaire plus préventive. Et sur le terrain, la Professeure ne peut que savourer sa prochaine mission, puisqu’elle endossera le rôle de Veterinary Services Manager lors du rendez-vous olympique de Paris en 2024 !

Propos recueillis par Sarah Fanchon

Être femme vétérinaire, ce qu'ils en pensent...

* Françoise Hess Dudan, vétérinaire pratiquant en Suisse, issue de la promotion 1978 de l’université de Berne : « Je pense être parfois un peu plus sensible qu’un homme. Ou peut-être que les femmes parviennent moins à cacher leurs émotions. Mais sur le terrain, le savoir-faire est identique. Nous sommes totalement dédiées à notre travail, en tout cas comme nous concevions le métier à notre époque. Je travaille notamment dans la reproduction, ce qui est relativement saisonnier, mais il n’existe ni samedis, ni dimanches, ni jours fériés. Je n’ai pas fêté Pâques en famille depuis quarante ans ! Il faut que le partenaire de vie comprenne que les priorités sont en dehors de la famille. Et c’est difficile. J’ai connu des échecs sentimentaux à cause de cela. Pour autant, je suis quand même fière d’avoir réussi à élever correctement mes enfants tout en évoluant dans ma carrière professionnelle. »

* Marco Hermann, membre du Collège européen de médecine équine interne et vétérinaire officiel du CHI de Genève : « J’ai effectivement l’impression que là où les femmes réagissent plus à l’instinct et à l’émotionnel, les hommes sont plus rationnels. C’est peut-être très patriarcal comme regard, mais pour autant, cela n’est absolument pas dérangeant et ne changera ni l’avenir ni la manière de bien pratiquer la médecine vétérinaire. Savoir, connaître, être au courant des nouvelles méthodes de médecine traditionnelle, tous les vétérinaires en sont aptes. Il n’y a pas de différence à ce niveau-là entre hommes et femmes. D’ailleurs, les hommes aussi peuvent vouloir fonder une famille et avoir des enfants. Je pense donc que c’est un problème sociétal plus que féminin. »

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